Longtemps,
scrutant le ciel, il était là immobile fixant de son regard
l'indicible; aurait-il donc ce pouvoir, de lire par delà le temps,
les merveilleux moments d'innombrables farandoles dans les nuées du
vent, quand la brume enveloppe la ville de cette nébuleuse, blanche
et écarlate, opaque.
Pourtant, tout autour, la vie s'agitait, les
bambins, leurs parents, les badauds...et les autres...
Les autres,
ceux qui sont tout autour, sur la place traînant, et apostrophent,
t'entraînent vers un autre univers, fait de silences, et cliquetis
de chaînettes métalliques, une longue tresse sur leurs frêles
épaules,
Tout prés, la foultitude se presse, prés du
funiculaire en partance, à grand coup de sirène hurlante,
saccadée...
Lui s’imprégnait des sons, de ces bruits qui
agacent, jusqu'à l'instant où, d'un coup, le silence se fait, quand
s'entend
juste le cliquetis lancinant de la motrice poursuivant sa
ronde folle, Lui, regardant sa montre, accélère le pas, d'un coup,
la machine, aux wagons bondés se met en branle, il aurait voulu
arrêter le temps, - instant de solitude vaine -, il attendit encore
quelques minutes, puis rebroussât chemin s'en retourner vers le
parvis mouillé où son chien l'attendait.
C'est si rare,
pensais-je, d'attendre, et de prendre le temps, alors je m'avançais,
allant à sa rencontre,
lui pressant le pas de me voir m'avancer
vers lui, précipitamment. Brusquement, il s'arrêta, et, se tournant
vers moi, il agrippa ma main, la serrant fortement me saluant en de
longues minutes, en va et vient incessants ; Et là, il m'expliquai
s'être perdu dans la grand ville, et son bien dérobé, dépouillé,
délesté, il me réclama de l'aider, pour un billet, baragouinant
dans un langage mélangé : il était roux, la peau laiteuse,
presque translucide.
J'aurais voulu le retenir, lui parler, lui
demander pourquoi il regardait là-haut mais comment le retenir...
Ce
grand gaillard, robuste, bien taillé de ses larges épaules arrêta
pourtant sa course et je compris, lui s'aidant des gestes de ses
mains, il prétendit n'être de nulle part, d'être là par hasard :
il s'était trouvé, perdu, abandonné- il me montrait le ciel-
continuant en mot à mot, par saccade, presque incompréhensible pour
moi!
Il m'expliquait de ne pas tourner dos à la vie, d'oublier ma
rancœur, son idée du bonheur. Dans ce désert urbain, s'extirper,
s'exonérer du rythme de la multitude, et penser à l'instant, sans
écouter le temps, oublier le passé, et fi des lendemains de vivre
le présent, voilà ce qu'il me suggérait !
"vivre tel
une épave est une mort étrange" conclura-t-il, "il n'est
point de repère qui ne se désespère, alors cherche, cherche, et
retrouve le sens du vivre", il s'interrompit et il me laissa
ainsi,,,
Juste
un dernier regard, " sois un battant, et vis"! Mais alors
que faire, quand, là, au fond du puits, tu es tout prés du large
pont, qu'il suffit d'enjamber, et s'oublier, à tout
jamais...
Fragments de ces petits instants où, quand la mort
t'appelle, à chaque geste, mouvement, chaque pas, t'enfonce plus
profond dans la mouise, c'est si moche, et las, tu t'abandonnes,
terrassé...
Quand
j'eus levé la tête, après de l'avoir écouté, je n'ai vu, ni sa
grande silhouette, ni même son chien, juste le cliquetis des
ferrailles qui persistait, et le funiculaire qui poursuivait sa
course, sa dernière parole me trottait dans la tête, "La vie
est belle.."
J'ai regardé une minute le pont, ou peut-être
des heures, je ne sais, puis j'ai rebroussé chemin!
2016.01.30
© Yassine LAPLUME